La vie néopaysanne, mode d’emploi

Plusieurs associations aident les urbains en quête de retour à la terre à concrétiser leur projet de ferme écologique. Mais les possibilités ne se limitent pas aux micro-fermes en permaculture, et il reste à créer des ponts avec les paysans déjà installés.

Retrouvez régulièrement dans la chronique «Terre d’actions» l’actualité des initiatives écolos en France et dans le monde.

La décision est prise. Marre de cette vie «hors sol», du stress des villes, du béton, envie de faire pousser des fruits et des légumes, envie de bourgeons, de saisons et de ciels étoilés… Mais comment s’y prendre quand on ne sait rien du bouturage, qu’on rêve de maraîchage alors que c’est le plus dur des métiers de paysan ? On ne s’improvise pas «néopaysan» – un mouvement bien réel, qui fait l’objet de livres (voir ici, ici et ici) et même d’assises. Et la lecture des mésaventures de Bouvard et Pécuchet racontées par Flaubert suffira à décourager les moins déterminés. Pourtant, pour éviter de se faire humilier par notre mère la Terre, des initiatives fleurissent ici ou là.

Permaculture et agroécologie
L’association Fermes d’avenir, dont le fondateur, Maxime de Rostolan, est un proche de Nicolas Hulot, est née en 2013. Elle favorise la création et la mise en réseau de microfermes maraîchères en permaculture, sur le modèle de la ferme du Bec-Hellouin, dans l’Eure. Ces néopaysans sont inspirés depuis 1994 par l’ONG Terre et Humanisme de Pierre Rabhi. Le «paysan-philosophe» parvient à faire pousser d’incroyables comestibles sur des cailloux et promeut la «transmission de l’agroécologie pour l’autonomie alimentaire».

D’autres initiatives lancées en 2015 s’adressent aux aspirants à la néopaysannerie, telle Neo-Agri ou encore le projet Biofermes. Porté par l’association SOL-Alternatives agroécologiques et solidaires, ce dernier est né d’une rencontre entre l’écologiste indienne Vandana Shiva et l’un des pionniers de l’agriculture biologique en France, Philippe Desbrosses. Leurs ONG respectives (Navdanya et Intelligence Verte), défendent un modèle fondé sur un maillage de petites fermes agroécologiques autonomes et la préservation des semences traditionnelles (75% des variétés cultivées ont été perdues entre 1900 et 2000, selon la FAO). Ce qu’ils appliquent dans leurs fermes modèles, l’une dans le nord de l’Inde, l’autre en Sologne, devenues aussi centres de formation agricole.

«Une grande variété de petites fermes»
Le projet couvre un champ plus large que celui des microfermes maraîchères, prisé des néopaysans. «L’idée est de montrer la diversité des modèles alternatifs agricoles, explique Clotilde Bato, la directrice de SOL. Les microfermes maraîchères, c’est très bien, nous travaillons d’ailleurs avec celle du Bec-Hellouin. Mais ce n’est qu’un exemple parmi une grande variété de petites fermes. Et on ne peut pas en faire le modèle d’avenir, car on ne peut pas faire de microferme en céréales ou en élevage.»

Pour distinguer petite et microferme, l’association s’est alignée sur la définition de la Confédération Paysanne. Beaucoup dépend du type de culture : en maraîchage, une ferme de 4 à 5 hectares sera considérée comme petite, une microferme fera moins de 1,5 hectares. Ajoutez de l’élevage, et la surface sera forcément plus grande.

Or «en France, 45% des agriculteurs recensés en 2005 partiront à la retraite d’ici 2020 et les petites exploitations sont les premières touchées», s’alarme SOL. Une «hémorragie silencieuse» que veut juguler Biofermes. Construit autour de trois axes (agroécologie, semences, autonomie), ce projet espère développer un réseau de petites fermes très variées, partout en France, qui puissent aussi servir de lieu de formation. Il compte sept exploitations, une grosse dizaine d’ici fin 2018. L’une démontrera qu’un modèle collectif peut fonctionner : s’installer à plusieurs permet une multiplicité d’activités sur la ferme et de prendre des vacances. Une autre hébergera un paysan boulanger, qui produit des céréales et les transforme sur place. Une autre encore sera autonome en énergie, grâce aux renouvelables (solaire, éolien, méthanisation)…

Ponts entre néopaysans et paysans
SOL et Intelligence Verte ont lancé fin 2017 une campagne de crowdfunding. L’argent servira en partie à former de nouveaux paysans. Au fait, certains aspirants déchantent-ils ? Oui, et même «énormément», dit Clotilde Bato, car «s’installer prend en moyenne cinq ans, coûte très cher et trouver du foncier est extrêmement compliqué».

Biofermes entend aussi aider à la conservation des semences paysannes et créer des «kits d’action» pour que chacun simples consommateurs, puisse sensibiliser autour de soi sur la disparition des petits paysans et les moyens d’y remédier. Mais aussi, et c’est capital, pour embaucher un paysan chargé de créer des ponts entre néopaysans et paysans, qui font aujourd’hui défaut.

«Des réseaux paysans alternatifs font un boulot incroyable sur le terrain depuis plus de trente ans. Nous souhaitons travailler avec eux, tisser des liens et mieux les faire connaître», confie Clotilde Bato. Chaque néopaysan formé est mis en relation avec le groupe Inpact de sa région (Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale), qui rassemble une douzaine d’organisations aidant à la conversion ou à l’installation des petits paysans, dont Terres de Liens, les Civam (Centre d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), les groupements d’agriculture bio, ou les Adear (Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural). Bref, on ne s’improvise pas paysan, mais on le devient plus facilement avec l’aide de ceux qui le sont depuis des décennies.