Il reprend la ferme familiale grâce à ses compétences en informatique

Interview du 16/01/2021 – Rédaction : Frédérique Hupin, journaliste

Bernard Duroselle gère une ferme de 40 hectares à Hognoul (commune d’Awans) en région liégeoise. A 42 ans, il est en transition vers l’agroécologie. Tout ce qu’il a appris c’est en grande partie sur internet.

Issu d’une famille de trois garçons, c’est au décès de son père en 2009 que Bernard fait ses premiers vrais pas en agriculture. Bernard a alors 31 ans. C’aurait pu être le rêve pour un père agriculteur : trois fils, c’est autant de chances de transmettre son exploitation. Il n’en est pourtant rien. « Mon père ne nous a jamais encouragés à reprendre la ferme », s’étonne encore son fils, Bernard. « Il était très taiseux, on n’a pas pu échanger beaucoup, il ne m’a pas partagé son expérience. Il ne nous a pas non plus connectés au monde agricole via des réunions, des rencontres des voisins, des mouvements de jeunesse ou autre. Vraiment, il ne voulait pas que l’on reprenne. La ferme s’érodait, les terres étaient progressivement reprises par nos bailleurs, la rentabilité était difficile. D’une ferme de 100 hectares, on est passé aujourd’hui à 40 hectares ».

Après un graduat en agronomie à La Reid et quelques expériences professionnelles diverses, Bernard reprend une formation de six mois en informatique dans l’administration des systèmes et des réseaux. Cela débouche sur un job qu’il occupe maintenant depuis plus de 11 ans à La Province de Liège. Cinq jour sur sept, il fournit de l’assistance informatique aux fonctionnaires de la Province. Après journée, pendant les congés et le week-end, place à sa passion : la ferme.

      

Bernard Duroselle cultive le colza en association avec des légumineuses depuis deux ans.

©Frédérique Hupin

Une transition amorcée grâce aux réseaux sociaux

« A la reprise de la ferme en 2009, j’ai préféré ne rien changer dans un premier temps » expose Bernard, très raisonnable. «  Je m’intéressais au bio, c’était tendance et je n’aime pas mettre des phytos, mais les filières d’écoulement n’étaient pas au point à cette époque. J’ai alors été sur le net pour m’informer. » Bernard S’informe sur les forums privés spécialisés en agriculture de conservation des sols (AC) comme Agricool en France (dont il est membre depuis 2013), sur YouTube (Ver de terre production), sur Facebook (divers groupes sur l’AC). Il fait partie de nombreux groupes de discussions et à son tour n’est pas avare en communication. Le liégeois partage beaucoup sur son métier sur Facebook. Mais toujours dans des groupes privés. « Sur le forum Agricool, je suis encore considéré comme « conventionnel ». Les gars sont des poids lourds, moi j’en suis encore aux balbutiements. Via photo, un gars m’a un jour conseillé sur ma ferti … et c’était juste ! Le forum est très bien géré, très bien filtré » et ça c’est un geek, habitué des forums qui le dit !

Pour la conduite « in the real life » de sa ferme, notre informaticien peut compter sur l’aide de l’entrepreneur agricole qui travaillait avec son père. « C’est lui qui m’a tout appris, même à me servir d’un pulvérisateur » reconnaît Bernard. « Mon père travaillait déjà avec lui, il a son négoce indépendant, c’est un précurseur dans la valorisation de céréales à faibles intrant en circuits-courts. Quelque-part on a des idées similaires ».

Notre « néo » agriculteur avance lentement mais sûrement : « ma vision c’est d’arriver dans 20 ans à l’ABC. Chaque année je modifie un truc pour m’en rapprocher ». ABC pour agriculture biologique de conservation des sols, l’agriculture la plus compliquée à pratiquer, puisqu’on n’a plus droit aux herbicides alors que l’on veut à tout prix diminuer le travail du sol.

La ferme de Bernard est composée de six parcelles. Les cultures qui s’alternent sont les pois, la betterave, les céréales (froment), le lin, le colza, les pommes de terre (sous contrat), un peu de haricot, d’oignons et de maïs. Il procède à des échanges paille-fumier : chaque parcelle reçoit une fois tous les trois ans 10 à 15 tonnes de fumier par hectare (variable en fonction des analyses de sols). 

Bernard est, depuis peu, membre de l’association « Greenotec » qui a pour but d’aider les agriculteurs dans les techniques de l’agriculture de conservation des sols (AC). Avec eux il s’est lancé dans le colza cultivé en association avec des légumineuses : trèfle blanc, trèfle d’Alexandrie, féverolle, lentille. Actuellement, cette technique lui a permis de se passer du désherbage.

Côté labour, son père avait commencé à ne plus labourer pour semer ses céréales, Bernard a continué sur le reste des cultures à deux exceptions près. Les terres de lin (sous contrat) sont labourées car le contracteur l’exige ainsi que celles de pois semés après maïs à cause des résidus des cannes. « J’ai d’abord été motivé à arrêter parce-que je labourais moche » rigole Bernard.  « Je n’aimais pas ça, c’est beaucoup d’heures de tracteur et une grosse consommation de carburant. Je suis favorisé, je suis dans un sol argilo-limoneux typique de la Hesbaye, c’est du caviar ». A défaut de charrue, Bernard décompacte le sol à l’aide d’une poutre Agrisem de 3 mètres de large équipée de dents à ailettes. « Je l’utilise en été avant de semer mes couverts. S’il fait sec, ça ne lisse pas le sol » rassure Bernard. « L’entrepreneur avec qui je travaille est équipé d’un Alpego Craker (dents sans ailettes), on descend à 30 cm pour casser la semelle de labour ». Pour semer ses couverts, Bernard a acheté d’occasion un semoir de semis direct à dents : un T-sem de chez Simtech-Aitchison.

Mais c’est surtout avec les couverts végétaux que le liégeois entame sa transition. « Je voulais transformer une contrainte réglementaire en bénéfice. Dès le début j’ai mélangé trois, quatre voire cinq espèces dans mes couverts. Aujourd’hui j’en suis à huit. Mon mélange varie constamment. Récemment des voisins de 60 ans sont venus me demander ce que je leur conseillais de semer comme couvert, ça m’a fait bizarre ».

Planteurs d’avenir

A nouveau via les réseaux sociaux, voilà que Bernard Duroselle se retrouve impliqué dans un nouveau genre de projet : un projet citoyen de plantation de haies. « J’ai été contacté par un groupe d’habitants de la commune qui désirait promouvoir la haie en intégrant les agriculteurs dans le projet sur le territoire de la commune. J’avais déjà en tête de replanter des haies mais sans trop savoir comment. C’est donc arrivé au bon moment pour moi. »

Depuis maintenant deux ans, le groupe « Planteurs d’avenir » aide les agriculteurs à replanter des haies. Cette aide se concrétise sous forme de chantier participatif pour la plantation mais aussi dans le regroupement des besoins en plants pour négocier les prix chez différents fournisseurs. « Il y a aussi un peu d’appui technique dans le choix de la composition de la haie et le groupe sera aussi présent pour l’entretien des plantations », précise notre néo-planteur. Il y a donc un engagement dans la durée.

Planteurs d’avenir ne veut pas s’arrêter là. Le groupe désire produire ses propres plants afin de réduire les coûts et proposer des arbres cultivés et adaptés au terroir de la commune. Ce groupe a reçu un prix de l’environnement de la Province de Liège et va continuer à développer d’autres projets. Bernard Duroselle est conquis : « Cette initiative est vraiment intéressante car elle permet d’améliorer le contact entre les agriculteurs et les habitants par des rencontres sur les chantiers participatifs. Il est vraiment intéressant d’avoir des personnes qui désirent s’impliquer et aider les agriculteurs. »

Bernard est membre de Microfarmap

« C’est pas si facile que ça d’accéder aux réseaux et à l’information. Moi c’est facile car l’informatique c’est mon métier. Je suis accroc à la recherche d’infos sur le net. Je passe plus de temps à chercher de l’information que sur mon tracteur. Mais je suis un cas particulier. Que Microfarmap propose une solution qui collecte toutes ces infos pour l’agriculteur, oui c’est un temps énorme de gagné. Et c’est aussi intéressant de pouvoir disposer d’une zone d’échange avec des agriculteurs qui ont un contexte similaire afin de partager l’expérience. »